En palmipède, quels sont les signes à surveiller permettant de donner l’alerte ?
François Landais : La grosse difficulté concernant les palmipèdes, c’est que la période d’incubation est relativement longue. Les animaux peuvent ainsi être contagieux pendant sept à dix jours sans signes cliniques. Passé cette période d’incubation, les premiers signes avant-coureurs observés sont une baisse de consommation d’eau et d’aliment significative (de 30 à 50 %). Généralement, le changement intervient brutalement, en 48 heures.
Ensuite, on observe des symptômes essentiellement neurologiques et digestifs, avec des convulsions, des tremblements, des mouvements répétés, ports de tête anormaux, torticolis, des têtes qui balancent de droite à gauche, des têtes renversées sur le dos avec des pertes d’équilibre et des convulsions en phase agonique. Mais la mortalité n’est pas nécessairement très importante, donc cela nécessite une surveillance assez précise du lot par les éleveurs pour détecter les premiers signes de la maladie.
Quand un lot est touché, ces observations concernent-elles un grand nombre d’animaux ?
F. L. : Pour ce qui concerne le Sud-ouest, les éleveurs étaient encore fortement marqués par la crise de l’hiver dernier. Ils savaient que le risque était élevé et étaient donc particulièrement vigilants. La plupart du temps, ils nous ont donc signalé les premières suspicions dès les premières baisses de consommation, avant même qu’il y ait de la mortalité en élevage, avec tout au plus quelques dizaines de sujets avec des symptômes neurologiques.
Observez-vous, dans votre travail auprès des éleveurs de palmipèdes, une meilleure réactivité d’année en année ?
F. L. : Ils nous ont appelés à peine les premiers symptômes perceptibles pour déclarer la suspicion, mais on s’est rendu compte assez rapidement que ces premiers éléments visibles pour l’éleveur n’intervenaient que sept ou huit jours après la contamination. Il y a donc un laps de temps pendant lequel les animaux sont très contagieux, contaminent massivement leur environnement et l’exploitation et cela rend les choses très compliquées à maitriser, parce qu’il y a cette inertie d’une semaine, pendant laquelle la vie continue sur l’exploitation, des allées et venues, même si on les a limités au maximum, avec tout ce que ça comporte en termes de risque de diffusion. La diffusion du virus s’explique en grande partie du fait de cette période de contagiosité silencieuse d’environ une semaine pour les palmipèdes.
Le premier foyer qui se matérialise dans un élevage est nécessairement consécutif à une introduction à partir de la faune sauvage. Le problème, c’est que tous les foyers qui suivent sont plutôt du fait de la diffusion entre élevages. Et c’est là qu’il y a des efforts à fournir pour essayer de mieux contenir cette diffusion, notamment les zones de forte densité de production de palmipèdes.
La claustration préventive mise en place cette année de manière plus stricte a-t-elle eu un impact dans la diffusion du virus ?
F. L. : Oui, assez clairement, la propagation du virus a été freinée par la mise à l’abri, mais elle n’a malheureusement pas été empêchée. Et on va retrouver à peu près la même zone bloquée, le virus aura seulement mis plus de temps cette année à parvenir à la bloquer cette zone que l’année dernière. Du point de vue de l’administration et des vétérinaires, cela a été un peu plus simple à gérer, mais malheureusement, du point de vue des éleveurs, elle sera tout aussi dramatique.
Quels sont les signes à détecter en volaille ?
F. L. : En volaille, tout va beaucoup plus vite. La période d’incubation est beaucoup plus courte. Elle dure en moyenne trois jours (à plus ou moins un jour). On constate aussi une baisse de consommation d’aliment et une prostration très importante. La mortalité, à la différence des palmipèdes, sera significative dès le premier jour et de progression exponentielle. Typiquement, le premier jour, on a quelques dizaines de morts, et plusieurs centaines dès le deuxième jour.
Quels sont les premiers symptômes de l’Influenza aviaire en poule repro ?
Olivier Salandre : Classiquement, il existe des critères d’alerte sanitaire en élevages qui doivent amener tout éleveur à prendre contact avec son vétérinaire en cas de dépassement des seuils d’alerte. Ces seuils d’alerte sont surtout des critères quantitatifs, notamment en termes de pourcentages de mortalité ou de baisses de performances (ponte, consommations d’eau ou d’aliment).
Cependant, en poules par exemple, ces critères quantitatifs peuvent ne pas être atteints au tout début de l’infection, ce qui pose problème pour pouvoir poser rapidement une suspicion.
On est donc contraint d’être particulièrement attentif à des critères qualitatifs, et notamment à l’évolution de la mortalité, même si celle-ci reste faible, et à prendre également en compte le contexte épidémiologique dans lequel on évolue, avec des notions de niveau de risque, de saisonnalité, d’environnement géographique…
Ainsi, l’apparition brutale d’une mortalité (sans nécessairement atteindre les niveaux définis dans les critères d’alerte sanitaire) avec par exemple huit poules mortes alors qu’il n’y en avait qu’une la veille, en période de risque Influenza élevé, dans une zone géographique à risque particulier, doit nécessairement amener l’éleveur à s’interroger.
On peut très bien ne pas avoir de changement de comportement au tout début de la contamination. Sur le premier foyer d’Influenza auquel j’ai malheureusement dû faire face en poules repro, il n’y avait par exemple pas du tout de modification du comportement du troupeau au moment où la suspicion a été posée, mais uniquement une légère augmentation de la mortalité. La prostration n’est arrivée que deux jours après avoir émis la suspicion, avec des niveaux de mortalité qui étaient alors tels qu’on ne pouvait plus avoir de doutes.
Ensuite, à l’autopsie, la présence de follicules ovariens hémorragiques doit interpeller le praticien. On peut aussi observer une rate hypertrophiée, la présence de quelques rares suffusions hémorragiques au niveau des pattes, parfois une nécrose hémorragique des glandes du proventricule, la présence de liquide d’ascite jaunâtre dans la cavité thoracoabdominale… Dans un deuxième temps, on peut aussi observer une carcasse congestionnée qui témoigne de l’état fiévreux des animaux. Ce critère est surtout marqué à partir du moment où on observe une modification comportementale du troupeau.
L’important est d’émettre la suspicion le plus rapidement possible pour pouvoir bloquer à temps tous les mouvements sur l’exploitation et éviter la diffusion virale.
Pouvez-vous rappeler quel est le reflex à avoir en cas d’observation de ces symptômes ?
F. L. : Le premier des réflexes est d’appeler le vétérinaire sanitaire, pour lui rapporter ces éléments d’observation dès le début de la suspicion. Il ne faut surtout pas déplacer ni d’animaux vivants ni d’animaux morts, dans un laboratoire, mais plutôt de privilégier une solution où le vétérinaire va venir se déplacer sur l’élevage pour investiguer cette mortalité.
O.S. : Les détenteurs de volailles ne doivent pas avoir peur de contacter leur équipe technique et leur vétérinaire sanitaire au moindre doute, car la réactivité du détenteur est cruciale dans la chaine d’alerte, c’est le premier maillon.
Aujourd’hui, on a la possibilité d’avoir recours à des outils de télémédecine, qui apportent indéniablement un plus pour poser rapidement une suspicion à distance. Cela permet aussi d’adapter au mieux la conduite à suivre, pour préparer sa visite en élevage, émettre un niveau de suspicion faible ou fort selon les cas, alerter les autorités, faire des prélèvements de confirmation…
Par ailleurs, dans ce contexte, la notion de diagnostic d’exclusion est également essentielle. On voit bien dernièrement que les tableaux cliniques sont vraiment parfois très peu marqués au départ, et que tout l’enjeu de la lutte contre l’Influenza consiste à ne pas passer à côté du premier foyer d’une zone pour contenir au mieux sa diffusion.
Il vaut donc mieux, au moindre doute, émettre une suspicion faible auprès des DDPP et réaliser conjointement des prélèvements pour faire un premier diagnostic analytique d’exclusion de l’Influenza. Il appartient alors aux autorités, en lien avec le vétérinaire sanitaire de l’élevage, de prendre des mesures adaptées au niveau de la suspicion, avec a minima un blocage temporaire des mouvements sur l’exploitation suspecte dans l’attente des résultats d’analyse.
Il ne faut vraiment pas avoir peur de faire ce premier diagnostic, car on a désormais la chance d’avoir un maillage de laboratoires agréés ou reconnus suffisamment dense, capables d’émettre des résultats rapidement, généralement en moins de 12 heures, qui permettront de lever ou malheureusement de confirmer les suspicions et d’être alors très réactif sur la détection d’un foyer index.
Intervenez-vous souvent en télémédecine ?
O.S. : Le recours à la télémédecine permet vraiment d’être très réactif dans les gestions de foyer, en étant capable d’observer des lésions compatibles avec de l’Influenza avant même de se rendre sur place, d’émettre une suspicion forte le cas échéant et de prendre contact directement avec les autorités pour organiser rapidement les prélèvements nécessaires à la confirmation. C’est un gain de temps et d’efficacité indéniable pour tous les acteurs.
1 François Landais, intervient en volailles et principalement en palmipèdes sur la zone Sud-Ouest.
2 Olivier Salandre intervient dans le Nord et le Grand Ouest en élevages de poules reproductrices et de poules pondeuses.