S’installer en dinde

Installé en 2015 en location, Anthony Taoc, jeune éleveur de dindes, prend son envol avec une exploitation de 6100 m2 en son nom propre. Retour sur ces deux dernières années d’installation.
Comment s’est passée la prise en main du nouveau site ?
J’ai repris l’élevage en juin 2016 et le site a été mis en fonctionnement en décembre 2016. Il y a eu 6 mois de travaux. Nous avons notamment passé les bâtiments statiques en dynamiques Colorado. L’éclairage a également été refait, ainsi que les centrales de régulation, le système de chauffage, les portes et portails, certains pignons, etc. La rénovation a été menée de telle sorte que nous n’ayons pas à réinvestir dans les bâtiments pendant les 15 prochaines années, soit la période de remboursement.
Exploitez-vous toujours votre site en location à St Ségal ?
Oui, mais je vais m’en séparer en décembre, car je reprends un autre site à côté de chez moi en janvier 2019. J’aurais donc un total de 6100 m2 en propriété. Ce dernier site a été régulièrement rénové, donc aucun travaux ne sera nécessaire.
Alternez-vous les productions entre dindes et poulets de chair ?
Oui, je fais deux lots de dindes et un lot de poulet par an. C’est toujours intéressant de pouvoir alterner les espèces, notamment au niveau du microbisme. Et économiquement, nous avons une marge poussin aliment plus intéressante lorsqu’on intègre un lot de poulets avec deux lots de dindes au cours de l’année. Il vaut mieux faire deux lots de dindes et un lot de poulet que 2,3 lots de dinde par an.
Comment se sont déroulées ces deux dernières années avec ces nouveaux bâtiments ?
La reprise a été particulièrement éprouvante. Les travaux étaient conséquents et mieux valait-il être solide psychologiquement. Quand on démarre des travaux, on est régulièrement confrontés à des surprises. D’où l’intérêt d’avoir une marge prévisionnelle économique permettant d’absorber ces aléas. Car l’investissement prévu au départ n’était plus du tout le même à la fin. Une marge de sécurité doit être anticipée dès le départ. Car en général, on peut rajouter un beau billet à la fin.
Puis on se dit au cours des travaux, que tant qu’on y est, autant ajouter certaines choses qui n’étaient pas prévues au départ.
J’estime que le budget prévisionnel a été dépassé de 20 %, mais je ne le regrette pas ! J’ai maintenant des bâtiments au goût du jour, que ce soit au niveau de la ventilation, de l’électricité, l’isolation, etc. Je peux travailler sereinement, sachant que je serai tranquille les 15 prochaines années.
Je pense qu’il ne faut pas avoir peur, lorsqu’on reprend un site, de se lancer tout de suite dans la rénovation, plutôt que travailler avec les bâtiments en l’état et différer l’investissement. Car il n’est pas évident de retourner voir son banquier cinq ans après son installation pour dire « Finalement si j’avais su, j’aurais fait tel travaux et aujourd’hui, je me retrouve contraint de les faire ». Ce qui veut dire aussi qu’il faut stopper la production le temps des travaux. C’est pourquoi j’ai préféré faire ce qu’il fallait dès le départ, tout en faisant différer le prêt, pour ne pas avoir des remboursements à effectuer dès les premiers mois de l’élevage. Aujourd’hui, les travaux sont terminés, je suis parti sur un rythme de croisière en espérant que pour les 15 années à venir, je n’aie pas de rénovation importante à faire.
Votre première expérience en location vous a-t-elle permis de convaincre plus facilement vos partenaires financiers pour vous accompagner sur l’installation ?
Oui, c’est sûr. J’ai pu justifier d’une expérience d’un an et demi en activité. J’ai pu montrer des résultats, des bilans comptables, ce qui m’a donné une certaine crédibilité aux yeux du banquier. Certes, c’est une durée assez courte, mais je pense qu’un an en temps qu’agriculteur installé en location vaut plus que dix ans en tant que salarié dans un élevage avicole, du moins aux yeux du banquier.
C’est une étape que vous conseilleriez pour des jeunes qui cherchent à s’installer ?
Oui. Car quand on se lance on ne sait jamais de quoi on est capable, est-ce que la production va nous plaire, est-ce qu’on sera capable psychologiquement, etc. Tout le monde n’est pas apte à s’installer, il faut en avoir dans la tête, il faut accepter les coups durs, accepter de perdre de l’argent – car on n’en gagne pas tout le temps —, être confronté à des problèmes sanitaires, etc. C’est du vivant que l’on gère, pas une boîte de boulons ! Cela demande d’avoir du plomb dans la tête !
[embed]https://youtu.be/u4BP-0kWc6k[/embed]Vous gérez votre exploitation seul. Comment faites-vous pour prendre des décisions parfois difficiles, faire face au doute, etc. ?
J’ai tendance à me rapprocher de la Chambre d’Agriculture et de mon technicien Philippe Augustin. Mais malgré tout, ils ne peuvent que me conseiller, et c’est à moi de prendre la décision. C’est loin d’être évident. C’est aussi une question de gestion du quotidien. Il est primordial d’être bien organisé. J’ai pris par exemple pour habitude, le lundi matin, avant de démarrer la semaine, de noter sur un agenda ce qui est à faire chaque jour pour m’organiser au mieux, car on peut vite être débordé avec une telle surface.
À terme, prévoyez-vous d’embaucher un salarié ?
Avec la surface que j’ai actuellement, il m’est impossible d’embaucher quelqu’un, d’autant plus que je suis en plein période de remboursement de mes annuités. Il faudrait que je monte à 8000 m2 pour avoir un salarié. Mais un salarié a ses vacances, ses journées de congé, travaille 39 heures par semaine. Quand il est absent, comment gère-t-on la boutique ?
Avec 6100 m2, je prendrais trop de risques financièrement en embauchant quelqu’un puisque ma marge de sécurité serait minime. J’estime qu’en cas de coup dur — on peut toujours être confrontés à des problèmes sanitaires — il faut pouvoir les supporter économiquement.
Aujourd’hui, quel est votre temps de travail ?
J’estime être à 50 heures par semaine. J’attaque ma matinée à 7 h, jusque midi, puis 14 h -18 h ou 19 h, du lundi au vendredi. Après il y a aussi les périodes d’enlèvement, où je travaille la nuit pour les départs de volaille, mais en dinde, c’est deux lots par an. En volaille, ce ne serait pas possible seul, car il faudrait compter 6 à 7 vides sanitaires par an.