LIT Ouesterel : réconcilier élevage et société

Retisser les liens entre élevage et société par l’amélioration du bien-être animal et la réduction des usages d’antibiotiques en élevage : c’est la mission que s’est donnée le Laboratoire d’Innovation Territorial « Ouest Territoires d’Élevage » (LIT Ouesterel), en réunissant un grand nombre d’acteurs, depuis la recherche jusqu’à l’élevage, l’abattage, les distributeurs, sans oublier les associations de consommateurs et de défense du bien-être animal. À ce jour, trois territoires sont concernés, mais la démarche a vocation à s’étendre progressivement à l’ouest de la France, puis à l’intégralité du pays. Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Inra, décortique le projet.

Pouvez-vous rappeler les objectifs du LIT Ouesterel ?

Le LIT Ouesterel vise à redynamiser l’élevage, dans un premier temps dans l’ouest de la France. Pour ce faire, nous souhaitons recréer du lien entre élevage et société, par l’amélioration du bien-être animal et la réduction de l’usage d’antibiotiques et de médicaments.

Nous avons trois principaux axes de travail : le premier consiste à développer un référentiel sur le bien-être et l’usage des antibiotiques, au niveau de l’élevage, du transport et de l’abattage. Deuxièmement, nous développons un outil de traçabilité permettant de retrouver les différents items en matière de bien-être ou d’usage de médicaments. Et le troisième axe concerne le développement de solution permettant d’améliorer le bien-être ou de réduire l’usage d’antibiotiques.

C’est une démarche originale et expérimentale qui permet de coordonner l’ensemble des acteurs qui souhaitent agir en matière de bien-être.

Il existe déjà plusieurs démarches en matière de réduction des antibiotiques ou d’amélioration du bien-être, ces initiatives sont-elles associées dans le LIT ?

Le LIT associe plusieurs partenaires issus du monde de la recherche, des entreprises, des associations de consommateurs ou de défense du bien-être animal, des acteurs de l’agriculture, des instituts techniques et des représentants des collectivités territoriales et régionales. Nous nous appuyons sur leurs expériences et leurs initiatives pour évaluer dans quelle mesure les solutions mises en place par certains peuvent être généralisées à d’autres acteurs ou territoires.

Comment faites-vous pour identifier les bonnes pratiques ?

Le référentiel comporte cinq paliers. Le premier niveau reprend la règlementation, qui est déjà appliquée par tous, même s’il y a surement des marges de progrès à faire. Ensuite, chaque palier implique un niveau d’exigence supplémentaire.

Nous tentons d’identifier des solutions, soit au niveau de la recherche, soit par l’expérimentation. Mais surtout, nous souhaitons réaliser des essais sur le terrain, que ce soit  en élevage, chez les transporteurs ou dans les abattoirs, pour analyser quels sont réellement les impacts sur l’objectif de départ (par exemple, sur la réduction des antibiotiques), mais aussi pour identifier les conséquences annexes, s’assurer par exemple que le revenu de l’éleveur n’est pas trop impacté ou voir quelles sont les conditions qui permettraient à l’éleveur de s’en sortir financièrement, etc.

Qu’est-ce qui a motivé la mise en place de cette démarche ?

Le projet tire son origine du constat concernant la situation difficile de l’élevage et la distance croissante entre élevage et société qui se reflète par des mouvements de refus de la consommation de produits d’animaux et des critiques sur les méthodes d’élevage. Nous avons donc voulu développer un dispositif permettant à tous de se retrouver autour de la table, pour discuter et co-construire des innovations. Car par exemple, cela ne sert à rien d’avoir la meilleure innovation du monde pour réduire la douleur lors d’une opération, si elle est refusée par le reste de la société. Le principe d’un LIT est de co-construire les innovations avec toutes les parties prenantes. On n’est pas toujours d’accord, mais on essaie d’arriver à des compromis que tout le monde accepte.

Quelle est la stratégie de déploiement ?

A ce jour, nous sommes présents sur trois territoires pilotes : la communauté duKreiz-Breizh en Bretagne centrale, le pays d’Argentan d’Auge et d’Ouche en Normandie dans l’Orne, et le pays d’Ancenis, en Loire-Atlantique. Nous développons un système d’information qui reprend les innovations mises en place sur ces trois territoires pilotes et qui examine les conditions permettant d’extrapoler ces solutions à d’autres territoires, en tenant compte de leurs spécificités. Pour étendre ces initiatives à d’autres régions, nous allons nous appuyer sur les réseaux d’agriculteurs, les coopératives partenaires et les chambres d’Agriculture. À terme, l’objectif est bien d’étendre le projet à l’ensemble de l’ouest de la France, voire au-delà.

Quel est votre calendrier de déploiement ?

Il n’a pas encore été défini avec précision, mais on construit un calendrier sur dix ans, avec l’objectif de mettre d’abord le projet en œuvre sur les trois territoires pilotes et d’ici un à deux ans, identifier de nouveaux territoires où déployer le projet.

Parmi vos partenaires, vous avez trois acteurs majeurs de l’agro-industrie française. Pourquoi ne pas avoir inclus davantage de coopératives ou d’acteurs qui promeuvent des démarches alternatives ?

Le LIT est ouvert à tous. L’Assemblée générale du LIT est organisée en collège et comprend le collège de la recherche, le collège des agriculteurs et le collège des entreprises qui comprend également la grande distribution que nous sommes en train de contacter. Nous ne cherchons pas à donner une exclusivité à tel ou tel acteur, mais bien d’inclure le plus grand nombre possible d’acteurs. Des particuliers peuvent nous appeler pour partager leur projet et on étudiera dans quelle mesure il s’inscrit dans le cadre du LIT.

Donc des coopératives peuvent proposer de mettre en valeur des projets au sein de votre plateforme ?

Oui. Par exemple, unecoopérativemet en place une méthode pour améliorer l’accès au plein air et nous allons établir avec eux un système pour analyser les résultats de leur expérimentation (l’impact sur le bien-être, mais aussi sur les performances économiques ou sur l’environnement) et savoir si l’initiative est généralisable à d’autres contextes.

Un éleveur isolé peut-il vous rejoindre, sans nécessairement passer par sa coopérative ?

Oui. Il a été décidé que l’assemblée générale comprendrait un collège d’agriculteurs à titre individuel. Tout agriculteur qui souhaite venir en tant que particulier, parce que la démarche l’intéresse ou qu’il a des innovations à proposer peut être représenté par sa coopérative, sa Chambre ou son OP, mais il peut aussi venir à titre individuel. Nous pensons d’ailleurs qu’il y a aussi beaucoup à apprendre des initiatives individuelles. Car une des difficultés des innovations issues des éleveurs, c’est justement d’évaluer leur coût, qualifier leur impact et les diffuser. C’est plus difficile quand c’est une approche bottom up.

Concrètement, quel intérêt aurait un éleveur à s’inscrire dans votre démarche ?

Il pourra profiter de la dynamique existante, car nous commençons à être nombreux à participer. Il aura aussi accès aux innovations que l’on met au point et pourra les mettre en place dans son exploitation. Via le LIT, il participera enfin à tenter de réduire l’écart qui se crée entre agriculture, société et consommateur.

Comment entendez-vous définir la notion de bien-être animal ?

Nous avons travaillé avec les différentes parties prenantes et on est arrivé à la conclusion que le bien-être peut être mesuré de deux manières : Soit vous considérez les moyens qui permettent d’améliorer le bien-être, comme l’accès à la litière, l’accès au plein air, etc. ; soit, sur la base de méthodes développées par la recherche, vous considérez les résultats, autrement dit, vous mesurez des paramètres directement sur l’animal, comme l’état de stress, etc.

La recherche et les acteurs préconisent de prendre en compte les indicateurs de résultats, mais cela n’est pas toujours facile et peut être couteux. D’autant plus que l’agriculteur peut rarement effectuer ces mesures seul. Alors que les indicateurs de moyens sont faciles à constater et à mesurer.

Nous avons donc établi un équilibre entre indicateurs de moyens et indicateurs de résultats. Le référentiel est sur 10 ans et va évoluer dans le temps. S’il y a des progrès sur les indicateurs de résultats, on les intégrera dans le référentiel.

Concernant la filière avicole, reprenez-vous le travail de l’Itavi ou allez-vous plus loin encore ?

L’Itavi travaille avec nous. Nous reprenons l’outil Ebene, qui permet de mesurer le niveau de bien-être animal. À partir de ces outils, nous définissons différents niveaux d’exigence pour pouvoir ensuite mesurer à quel niveau se situe l’éleveur dans le référentiel et identifier les pistes d’amélioration.

Sur la question du bien-être, les différents acteurs ne partent pas toujours des mêmes postulats. Prévoyez-vous de travailler avec vos interlocuteurs sur la définition de ce qu’on pourrait appeler un comportement « normal » chez l’animal pour éviter tout risque d’anthropomorphisme ?

Cela fait presque deux ans maintenant qu’on travaille sur la question du bien-être. Nous avons fait plusieurs réunions et trois grands séminaires. Et ce qui est ressorti des échanges, c’est qu’il existe un besoin d’informer le grand public sur le fait qu’il n’y a pas une solution idéale. Par exemple, le plein air comporte des avantages, mais aussi des inconvénients, comme un accroissement des risques de maladies. Si l’on propose des parcours, il faut s’assurer que les animaux utilisent tout le parcours, mais un grand parcours, représente aussi des pertes pour l’agriculteur, etc. Donc le LIT vise à démontrer qu’il n’existe pas de solution idéale et qu’il faut tenir compte des avantages et des inconvénients. C’est pour cela que l’on co-construit les innovations en définissant en amont quels éléments sont considérés en priorité.

Travaillez-vous sur une définition précise du bien-être ?

Il existe en effet une méconnaissance de l’animal qui se traduit par des croyances au sens premier du terme avec, pour au moins une partie des acteurs, un peu ou pas mal d’anthropomorphisme. C’est l’idée du « si c’est bon pour moi, c’est forcément bon pour les animaux ». Et effectivement, les différentes réunions en sont venues à la conclusion qu’il existait un besoin d’informer le public.

Or, pour bien expliquer les choses, il faut parfois un peu de temps : expliquer quels sont les avantages et inconvénients de telle démarche, qu’est-ce que le bien-être, pourquoi la notion de bien-être est différente chez les animaux, ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, etc. On arrive aussi parfois à des sujets sensibles comme la question de la douleur.

Mais si vous proposez un cours magistral d’une journée, vous n’aurez personne, en tout cas pas le grand public. Il faut donc trouver un moyen non seulement de diffuser l’information, mais aussi que les gens la captent et l’utilisent ; trouver le juste milieu entre le temps nécessaire pour donner une information complète sans perdre le public en cours de route. C’est cela que l’on cherche et ce pas si facile ! Et pour être honnêtes, aujourd’hui nous n’avons pas encore trouvé de solution.

Est-ce en ce sens que vous envisagez de mettre en place un nouveau label ?

Oui. Imposer de nouvelles contraintes aux agriculteurs ou aux transformateurs va forcément induire un coût. Nous cherchons donc à voir dans quelle mesure on peut exploiter ce que l’on appelle en économie « le consentement à payer » pour du bien-être augmenté, et comment on peut retrouver cette augmentation dans le prix final ou comment les distributeurs peuvent abonder un fond qui reviendrait aux agriculteurs. Bref, trouver le modèle économique ou des aides publiques qui permettront de passer le cap. Une des pistes explorées, c’est la construction d’un label. De toute façon, il y aura quelque chose qui permettra de différencier le LIT et indiquer au consommateur que le produit s’inscrit dans le référentiel. Mais on peut effectivement aller plus loin en créant un label. C’est quelque chose sur lequel on travaille et qu’on essaiera de mettre en œuvre sur les deux premières années de façon concrète. C’est aussi la raison pour laquelle on travaille avec les distributeurs et les acteurs de la restauration collective.

Où en êtes-vous sur le référentiel santé et bien-être animal ?

On a une première version qui existe pour le poulet de chair (élevage, transport et abattage), la vache laitière et le porc. Et nous travaillons également sur la viande bovine. Le LIT sera officiellement créé à la fin de cette année et la première AG du LIT qui se tiendra en début d’année prochaine sera consacrée au vote sur la première version du référentiel. Nous avons donc une version alpha et nous travaillons avec les partenaires sur une version bêta.

Le référentiel est construit comme un escalier à différents niveaux et l’on essaie de préciser avec les acteurs les verrous clés, autrement dit, quelle exigence correspond à quel niveau. On cherche à la fois à être ambitieux, sans pour autant perdre tous les éleveurs.

Peut-on faire un parallèle avec le système de code pour les œufs de consommation ?

Oui. Les codes des œufs sont plus simples, avec moins de critères, mais c’est un peu le même principe. On s’inspire aussi des expériences étrangères. Il existe des choses similaires au Danemark, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. Eux aussi sont partis sur des démarches à plusieurs niveaux.

La France est un peu à la traine par rapport au reste des pays européens qui peuvent imposer ce qu’ils veulent. L’idée est donc non seulement de se mettre au niveau, mais aussi de prendre de l’avance de façon à pouvoir peser les discussions européennes.

Allez-vous aborder des sujets comme le sexage des poussins ?

Oui, il n’y a aucun sujet tabou. Même si aujourd’hui ce point ne fait pas partie des exigences de premier niveau dans le référentiel, ça pourra être dans les niveaux d’exigence plus élevés.

Sur des sujets tels que celui-ci, où il n’existe pas encore de solutions satisfaisantes, allez-vous mettre des programmes de recherche en place ?

Oui. Soit il existe déjà des solutions et il s’agit d’assurer la diffusion à plus grande échelle. Soit on n’a pas de solution satisfaisante, mais c’est une priorité et on se met en ordre de marche pour adresser cette priorité, avec un programme sur une durée déterminée, en commençant par la recherche si nécessaire. Notre force, c’est que l’on travaille ensemble depuis la recherche jusqu’à l’éleveur.

De quel type de budget disposez-vous ?

Nous avons déjà obtenu des aides au montage. Désormais, on s’inscrit dans un grand appel d’offres de la Caisse des Dépôts et Consignations, intitulé Territoires d’innovation de grande ambition (TIGA) et sur lequel nous sommes en concurrence avec d’autres secteurs comme Rennes Métropole ou Airbus, etc. Nous essayons aussi d’obtenir des financements des conseils régionaux, de FranceAgrimer. Enfin, nous bénéficions des ressources propres des partenaires, soit via des forces de travail, soit des ressources budgétaires issues par exemple des coopératives.

L’intérêt du LIT est donc aussi de coordonner l’ensemble des actions sur un sujet de société pour aller chercher des fonds sur de grands appels d’offres ?

Tout à fait, nous visons également des fonds européens. Aujourd’hui, nous avons essentiellement des fonds nationaux et régionaux. Les chambres d’Agriculture apportent aussi des ressources via des dispositifs expérimentaux ou via des techniciens et des ingénieurs.

Serez-vous présent au SPACE ?

Oui. Nous serons sur le stand de l’INRA, dont une partie sera réservée au LIT.

Quelle est la date du prochain séminaire ?

Des groupes de travail et des séminaires se tiennent régulièrement, et le prochain grand séminaire ouvert à tous se tiendra en février ou mars 2019. Ce sera aussi la première AG du LIT. Fin 2018 sera consacré à la rédaction du dossier d’appel d’offres.

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