La fin des couvoirs indépendants ?

En avril dernier, LDC entrait en négociation exclusive pour reprendre le couvoir Perrot. En juillet, le couvoir Goasduff était racheté par deux poids lourds de l’accouvage belge et danois. Ces transactions illustrent l’interrogation qui plane sur l’avenir des couvoirs indépendants. Acteurs indispensables pour absorber les fluctuations du marché, ils doivent pourtant assumer des risques importants, assortis de lourdes charges qui fragilisent aujourd’hui leur pérennité. Le point avec Alain Gauguet, directeur du couvoir du Pin, à la Chapelle Glain (44).
Pouvez-vous présenter l’activité de votre couvoir ?
C’est une activité qui dure depuis deux générations, puisque le couvoir a été créé par mes parents dans les années 1970. Notre travail comporte une partie sélection avec la pondeuse « MARANS », et une partie accouvage basée exclusivement sur des volailles colorées, ce qui inclut les productions label, certifiée et fermière, avec une production mensuelle d’un million de poussins. Nous fournissons ainsi sept organisations de production et un grand nombre de producteurs traditionnels et bio qui vendent leur production à la ferme, sur les marchés et en magasin de proximité.
Quelle est la situation de votre entreprise aujourd’hui ?
Notre situation est celle de bon nombre de couvoirs indépendants qui ont vu le jour avant les années 80 et qui ont ensuite été repris par succession familiale. Pour la plupart, la deuxième génération arrive à son terme professionnel. On le voit par l’évolution récente des couvoirs, que ce soit par arrêt forcé ou par les cessions récentes de sociétés familiales, le changement arrive.
On n’insiste pas assez sur les contraintes administratives de toutes sortes applicables à notre métier en terme d’environnement, de biosécurité, de transport ou encore sociales. Que ce soit à travers les cahiers des charges ou les évènements récents d’influenza aviaire, au-delà des mesures de sécurité sanitaire indispensable, il est clair que la contrainte administrative, nationale ou Européenne, pèse lourd économiquement.
On nous demande de laver plus blanc que blanc ! Ces millefeuilles juridiques demandent une polyvalence difficile à mettre en œuvre dans une structure de petite taille, où la responsabilité est portée par le seul dirigeant.
Ici, on a une trentaine de salariés. Plus on ajoute de contraintes, plus ça devient compliqué à gérer, notamment concernant la répartition des compétences qui demandent une spécialisation. Tout cela n’est pas créateur de compétitivité et de valeur ajoutée, bien au contraire.
Dans quelle mesure ces investissements pèsent-ils sur votre activité ?
Arrivés à un certain stade, ces investissements ne sont pas productifs, ils ne permettent pas de gagner en valeur ajoutée, ce ne sont que des charges. En gros, les marges d’accouvage représentent 1 à 2 % du chiffre d’affaires. L’intégralité des résultats est absorbée par des besoins d’investissements et de telles marges ne nous permettent pas d’investir et d’avoir une visibilité sur 5 ans.
Les éleveurs sont soumis aux mêmes contraintes, que ce soit les éleveurs en OP ou les éleveurs indépendants. Donc on se demande où on va !
Estimez-vous que l’accouvage soit un maillon négligé par la filière ?
L’accouveur indépendant se situe entre le maillon très en amont de la sélection, qui subit d’ailleurs des restructurations, et les organisations de productions, qui sont en contact direct avec les abattoirs. Or, plus on s’éloigne des destinataires finaux, que ce soit les GMS ou l’abattoir, moins il y a de place pour la négociation. Dans un contexte où l’intégration est de plus en plus présente, quelle place nous reste-t-il ? Être le tampon entre le sélectionneur et l’organisation de production ? Et à quel prix ?
D’autant plus que certaines demandes peuvent être abusives. On nous demande parfois de participer à des manques de marge des éleveurs qui vont bien au-delà de notre rôle. On nous demande aussi d’endosser des responsabilités importantes. Quand il y a un problème sur un lot, l’OP se tourne facilement vers le couvoir. Nous sommes un peu pris en sandwich et notre métier n’est pas forcément compris.
Quelles sont les contraintes liées à votre statut d’indépendant ?
Contrairement à un couvoir intégré, où l’OP aura intérêt à utiliser tous les poussins, notre outil de production n’est jamais optimisé à 100 %. On joue un peu le rôle de tampon selon les fluctuations du marché. Or, quand on doit stocker des œufs, on a des déperditions. Sans compter que la durée de financement des stocks est très longue. En effet, le maillon sélection accouvage est le seul dans la filière à gérer un stock de production de 16 mois (5 mois élevage pour une future reproductrice et 11 mois de production). Et ce, sans garantie d’usage total pour les couvoirs indépendants. Or, il n’y a pas toujours de reconnaissance à juste valeur pour ce rôle, dans la mesure où il n’y a pas de relation contractuelle garantie pour la durée de vie d’un lot de reproducteurs. Nous travaillons en tacite reconduction, mais dans les faits, on peut être lâché partiellement du jour au lendemain si le marché se retourne. On est donc obligé de trouver d’autres valeurs ajoutées pour pouvoir s’en sortir
Quelles solutions préconisez-vous ?
Dans l’immédiat, il nous faut trouver d’autres solutions pour limiter les investissements lourds liés au renouvellement des bâtiments de production et créer des synergies comme nous le faisons aujourd’hui avec Caringa, avec qui nous allons mutualiser des lots de reproducteurs.
Pour le couvoir, c’est la même chose. Nous mutualisons nos capacités d’incubation pour pouvoir sécuriser l’approvisionnement de nos clients tout en limitant les investissements. Aujourd’hui, il y a de la place dans les couvoirs indépendants. Ils ne sont pas pleins. Autant mutualiser et utiliser des outils en commun pour pouvoir servir nos clients, car c’est ça le but. C’est le levier le plus approprié pour réduire le prix de revient et se concentrer sur le métier d’accouveur en créant de la valeur ajoutée.
Chez nous, une partie de la production est déjà sous-traitée. Et cela me paraît plus judicieux que de financer un agrandissement de couvoir. Car aujourd’hui, je n’ai pas la certitude de pouvoir optimiser un tel investissement dans les dix prochaines années. Or, pour nous permettre d’avoir un peu plus de visibilité à moyen terme, il manquerait au minimum deux centimes par poussin.
Quelle marge de manœuvre avez-vous sur le prix du poussin ?
Deux centimes, ce n’est rien ramené au kilo de poulet, mais cela ne veut pas dire que le client à l’autre bout de la chaine acceptera de le payer. Il y a un prix de marché. Si on augmente notre prix et que le client décide d’aller voir ailleurs ? Que fait-on ? On se retrouve avec nos stocks sur les bras. S’il n’est pas écoulé, nous n’aurons aucune rentrée d’argent. En d’autres termes, on coule.
C’est là que la notion de contrat tacite intervient. Et les GMS suivent le même raisonnement. Si une organisation de production ne suit pas les promos, elles se servent ailleurs. Mais dans un tel contexte, comment assurer la pérennité de nos activités ?
Deux centimes, c’est symbolique. Si demain les OP veulent garder les couvoirs indépendants, il faudra mettre le prix.
Vous êtes pourtant sur un marché qui se porte plutôt bien en comparaison à d’autres élevages.
L’évolution sociétale crée des opportunités, mais pas seulement… On le voit avec le marché de l’œuf plein air et bio, très demandeur, ou la rémunération du mètre carré est parfois très supérieure à celle de l’accouvage. Le marché du poulet de chair alternatif est un marché mature, où les promotions GMS prennent de plus en plus d’importance et se déplacent d’un bassin de production à l’autre. Dans ce contexte de marché, sauf à avoir une dimension nationale, l’accouveur indépendant se retrouve à devoir assumer les compléments, avec toute la difficulté de gérer un stock d’œufs à couver ou un manque de poussins que cela implique.
Les couvoirs indépendants sont-ils amenés à disparaître ?
Ils sont forcément amenés à évoluer, ne serait-ce qu’à cause de la pyramide des âges. On arrive sur des couvoirs de deuxièmes générations qui sont en fin de vie professionnelle. À 60 ans, personne ne s’engage sur un emprunt pour dix ans. De la même manière qu’un éleveur de 55 ans ne réinvestit pas, il vend son élevage. Sauf qu’en accouvage indépendant, il n’y aura pas de troisième génération. Qui reprendra une activité qui fait 1 % de rentabilité avec de tels investissements ? Pour faire simple, en partant de rien, il faudrait investir plus de 100 euros pour réaliser 100 euros de chiffre d’affaires. Il faudrait donc plus de 100 ans pour retrouver son investissement ! À l’échelle d’une carrière professionnelle, ce n’est pas sensé.
Depuis 2005, beaucoup de groupes et de couvoir indépendants ont arrêté, déposé le bilan ou ont été rachetés. Le phénomène est bien présent.
Cependant, les filières ont besoin des indépendants, ne serait-ce que pour pouvoir optimiser leurs propres couvoirs intégrés.
Nous avons fait le choix, Caringa et moi, d’unir nos moyens d’actions de production et de service. Mais ce choix ne répond pas à la problématique des couvoirs aujourd’hui. La question reste entière. Si personne n’ouvre des portes, l’avenir des couvoirs indépendants semble compromis.