Invitée aux Jeudis de la WPSA, Marie-Alice Thierry-Portmann, DRH du cabinet Ayming, pionnier dans le conseil en performance opérationnelle (innovation, opérations d'achat, ressources humaines, finances et taxes), a livré son analyse sur les changements qui se sont opérés dans les entreprises depuis l’apparition de la Covid-19. « Après le choc, nous avons perdu nos repères et très vite, nous sommes passés en mode survie, il fallait sauver notre travail, nos entreprises. Chez nous, les salariés se sont mobilisés très rapidement », constate-t-elle.
Pour le groupe Ayming, la priorité était de donner les moyens aux collaborateurs de continuer à travailler en sécurité au sein des différentes filiales réparties dans 15 pays. « Le passage au télétravail s'est effectué en l'espace de 48 heures. C'est un sujet que nous avions déjà travaillé en amont », précise-t-elle. La plus grande évolution au sein d'Ayming est d’avoir redonné de l'autonomie et du pouvoir de décision aux managers de proximité en mettant fin au management de type pyramidal. « C'était en réflexion depuis longtemps, la Covid-19 l'a fait en l'espace de quelques semaines... Les managers se sont à nouveau sentis responsables de leur mission », observe-t-elle. Il ne s'agit plus d'imposer les décisions mais de faire adhérer les équipes dans une démarche de co-construction, il ne s'agit plus de contrôler mais de piloter en fixant un cadre général et en laissant l'autonomie aux équipes de parvenir à l'objectif. « Les vieilles recettes ne marchent plus, il faut remettre en cause les anciennes croyances, habitudes, oublier les dogmes et faire preuve de pragmatisme. On ne peut pas fixer des règles, des process en permanence et se plaindre que les managers ne font pas preuve d'initiative », déclare-t-elle.
Présentiel/distanciel : le choix de la liberté
En parallèle, la priorité au niveau DRH était de prendre soin des relations humaines, du maintien des connexions et des échanges ainsi que du bien-être de chacun, notamment via la réalisation de sondages. « La majorité des quarantenaires apprécient le télétravail qui leur permet de davantage équilibrer vie personnelle et vie professionnelle, de passer moins de temps dans les transports et d'être moins fatigués, ce n'est pas forcément le cas des jeunes », constate-t-elle. 70 % des collaborateurs plébiscitent le télétravail, 30 % le trouvent difficile. « Un équilibre doit être trouvé entre le présentiel et le distanciel, adapté au business. On leur a donc proposé la liberté », précise la DRH. Une chose est sûre : les équipes ne souhaitent plus retourner au mode de fonctionnement d’avant Covid-19, et prônent une nouvelle organisation avec des temps au bureau réservés à la convivialité, la créativité, aux échanges, et le télétravail dédié aux moments de production. « On est ainsi passé d’une organisation contrôlante à une organisation pilotante où l’on se concentre sur deux indicateurs : le résultat (atteinte des objectifs) et le bien-être », informe-t-elle.
Marie-Alice Thierry-Portmann a cité deux autres entreprises pour illustrer les changements en cours : le groupe PSA, aujourd’hui rebaptisé Stellantis suite à la fusion avec Fiat, qui a passé dès septembre 2020 un accord pour autoriser le télétravail pour ses salariés (hors production) avec une journée et demie sur site et le reste du temps en télétravail. La stratégie de l’entreprise est axée autour de cinq piliers : souplesse, protection des collaborateurs, co-construction avec les partenaires sociaux, volontariat (liberté de choix), responsabilisation des collaborateurs.
Second groupe cité, américain cette fois-ci : Linkedin, adepte depuis un an de la formule « 100 % télétravail » et dont les effectifs sont majoritairement composés de commerciaux. Les sondages menés après un an de ce nouveau régime dévoilent que 60 % des commerciaux souhaitent retrouver des relations en présentiel avec leurs clients, et déplorent ne pas obtenir autant d’informations à distance que lors de rendez-vous terrain. Inversement, 30 % des clients considèrent les rendez-vous en visio comme un gain de temps.
L’évolution vers le e-commerce s’accompagne par la création d’écoles telles que la Business school qui forment des commerciaux 100 % digital. « La formation joue un rôle central, notamment pour garder les collaborateurs engagés dans leur mission. Nous avons créé un endroit dédié à la formation qui donne envie aux équipes d’y aller », annonce Marie-Alice Thierry-Portmann. L’enjeu selon elle est aussi de développer à l’avenir l’intelligence émotionnelle chez les collaborateurs, de challenger les interdits afin de libérer l’esprit d’initiative et d’oser dire les choses. « Changeons ce que l’on doit changer, et retrouvons l’envie d’être ensemble et d’avancer dans la même direction ! », encourage-t-elle.