Subventions agroalimentaires : quelles retombées pour les entreprises ?

Quel est l’impact des subventions sur l’activité des entreprises dans le secteur de l’agroalimentaire ? Le cabinet d’étude Primo Finance s’est penché sur la question et publie une étude réalisée à partir d’un échantillon de trente projets qu’elle a accompagnés.
Résultat : les aides participent à l’augmentation du chiffre d’affaires (+22 % en moyenne), mais elles encouragent aussi l’action en faveur de l’environnement, l’émergence de projets innovants et participent à dynamiser le tissu local.
Clara Moreau, gérante associée du cabinet Primo Finance, analyse les multiples retombées de ces subventions.
Pouvez-vous présenter le travail de votre cabinet d’études ?
Nous avons créé Primo Finance il y a dix ans, avec mon mari et associé Clément Moreau. Notre équipe compte dix salariés et nous intervenons sur toute la France. Notre métier consiste à aller chercher des subventions européennes et nationales pour financer en partie l’investissement d’entreprises. Nous levons des fonds allant de 100 k€ jusqu’à 3 M€ par projet, pour des entreprises principalement agroalimentaires, dont 85 % de PME et 15 % de grands groupes.
Les trois principaux postes de dépense des projets que nous accompagnons sont : la construction ou l’extension de bâtiment, la mise en place d’une chaîne de production et la construction d’une chambre froide. Certains projets comprennent un volet innovation, mais ce n’est pas une condition puisque nous ne visons pas seulement les aides liées à l’innovation. Nous allons également chercher des aides liées à la modernisation de l’outil productif, à la montée en compétence de l’entreprise, la diversification des produits, etc.
Vous venez de publier une étude sur l’impact économique des subventions, quelle est l’origine de cette étude ?
On entend souvent dire des subventions qu’elles créent un effet d’aubaine, que les aides ne sont pas forcément efficaces pour dynamiser l’entreprise, etc. Il y a souvent des polémiques autour des subventions et il est vrai qu’en France il existe de très nombreux dispositifs d’aide, dont certaines sont sans doute plus utiles que d’autres.
Je suis d’accord avec l’idée que certains dispositifs d’aide ne sont pas incitatifs. Prenons par exemple une aide de 1500 euros pour une entreprise qui recrute une personne, il est vrai que si l’entreprise a réellement besoin d’une personne supplémentaire, elle la recrutera, que ce soit avec ou sans l’aide.
Mais lorsque les montants de subventions sont conséquents, c’est-à-dire à partir de 30 à 40 % de subventions sur les dépenses éligibles, l’impact sur le projet est significatif et l’aide va pousser l’entreprise à faire des investissements qu’elle n’aurait pas pu faire autrement, par faute de moyen.
Nous avons donc mené cette étude pour montrer l’impact des subventions sur les projets que nous avons suivi. Car nous constatons au quotidien l’utilité de ces aides. Lorsqu’une entreprise perçoit entre 30 et 50 % de subventions sur un projet d’investissement, ce qui représente parfois des centaines de milliers voire des millions d’euros, cette aide a un réel impact. L’entreprise va ainsi pouvoir soit monter son projet plus rapidement, soit accroître la taille du projet, ce qui va permettre d’accélérer son développement. Ces aides permettent aussi aux entreprises de réaliser des investissements plus écologiques, donc plus couteux, mais qui vont générer à terme une économie d’énergie.
Cela faisait longtemps qu’on avait envie de mener cette étude, mais nous n’avions pas encore pris le temps de le faire. Mais en début d’année, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé qu’il passerait au crible tous les dispositifs d’aides existants en France, et cette annonce a été l’élément déclencheur de l’étude.
Quel type d’entreprise avez-vous étudié ?
Nous avons étudié tout type d’entreprises issues de différents secteurs de l’agroalimentaire. La transformation de viande représente 29 % de ces entreprises et 3,2 % sont en lien avec l’œuf de consommation.
Quelles sont les conclusions de cette étude ?
L’étude porte sur une trentaine de dossiers parmi les 400 que nous gérons depuis la création de l’entreprise. En moyenne, ces projets sont financés par des subventions à hauteur de 35 %.
Nous constatons des retombées en termes d’évolution du chiffre d’affaires qui ne sont pas uniquement liées aux investissements. Une entreprise qui va par exemple investir dans une nouvelle ligne de production, va donc améliorer sa productivité, augmenter ses volumes de production et donc augmenter par voie de conséquence son chiffre d’affaires.
Globalement, nous avons aussi constaté des créations d’emplois sur tous les projets que nous avons accompagnés. Même si quand une entreprise se développe et se modernise, on parle souvent de suppression de poste liée à la robotisation. Certes, certains emplois peuvent être supprimés, mais d’autres sont créés. Une entreprise va affecter des personnes liées à un automatisme désormais robotisé à d’autres tâches, avec une montée en compétences. L’augmentation de la production générée par l’investissement permet également parfois de créer de nouveaux postes dans des secteurs tels que le marketing, l’approvisionnement, la recherche et développement, etc.
Des retombées sont également notables sur le plan environnemental. Nous avons en effet constaté, au niveau notamment des abattoirs, mais aussi de manière plus générale dans l’agroalimentaire, de nombreux investissements sur des récupérateurs de chaleurs sur groupes froids. Les entreprises mettent en place des systèmes pour récupérer la chaleur générée par les chambres froides et l’utiliser pour chauffer l’eau pour plumer des canards par exemple, ou nettoyer l’atelier de production, etc. L’agroalimentaire est un secteur d’activité avec une forte consommation en eau chaude, que ce soit pour le process ou pour le nettoyage. Par conséquent, nous avons beaucoup de projets liés à ce poste. Et tous les systèmes de récupération de chaleurs permettent de diminuer de manière significative la facture énergétique des entreprises. L’action environnementale concerne aussi l’installation de stations d’épuration, la mise en place de chambres froides avec variateurs de vitesse, régulation du moteur, etc.
En terme d’innovation produit ou technologique, les investissements peuvent permettre aux entreprises d’intégrer de nouveaux marchés, créer de nouveaux produits, inventer de nouvelles recettes, mettre en place des outils ou des technologies plus performantes, etc. Ces subventions permettent donc de booster l’innovation.
Nous constatons aussi des retombées au niveau des approvisionnements locaux puisque lorsqu’une société investit et se développe, en règle générale, elle vise également à augmenter ses volumes et aura donc besoin d’augmenter ses approvisionnements en amont.
Enfin, ces aides encouragent la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) puisque certains dispositifs d’aide sont accordés ou bonifiés si une entreprise lance une démarche RSE. Elle obtiendra ainsi des points supplémentaires lui permettant lors du passage en comité d’avoir une meilleure note globale, et donc plus de chance d’obtenir des subventions ou de décrocher une enveloppe plus importante.
Quels types d’aides sont les plus demandés dans le secteur de l’agro-industrie ?
Il y a d’abord les aides liées à l’environnement, financées par l’Ademe ou l’Agence de l’eau. Les entreprises sollicitent aussi très souvent les aides régionales. Il existe également des aides dans le cadre de plans de revitalisation, avec des subventions liées au recrutement ou au maintien dans l’emploi. Sans oublier les aides européennes.
Il existe aussi des aides financières délivrées dans le cadre des contrôles menés par la CARSAT pour soutenir certains investissements et des aides liées à la fiscalité, au suramortissement, le CICE, etc., dont les entreprises commencent à bien connaître le fonctionnement.
Il y a aussi des Crédits d’Impôt Recherche pour les sociétés ayant un projet très innovant, comme la création d’un prototype, la mise en place d’un logiciel, etc.
Ensuite, il existe différentes mesures d’aide. Au niveau européen par exemple, l’Europe édite de nombreuses mesures de soutien aux entreprises, mais chaque dispositif comprend de multiples critères d’éligibilité, ce qui les rendent assez restrictives.
Quels sont les freins les plus courants qui empêchent les entreprises d’établir des demandes de subventions ?
Souvent, les entreprises pensent qu’elles n’ont pas droit aux subventions. Par exemple, les PME tendent à penser que les subventions ne sont que pour les coopératives ou pour les groupes. Et les groupes pensent parfois au contraire que les subventions sont destinées essentiellement aux PME. Certaines entreprises ont commencé à se renseigner, mais elles n’ont pas les bons interlocuteurs ou trouvent la démarche trop fastidieuse ou trop chronophage et ont abandonné. Certaines manquent de personnel pouvant y consacrer du temps. Les dossiers de demande de subventions nécessitent généralement d’effectuer un certain nombre de démarches administratives et les PME ni même les groupes ne disposent pas toujours des ressources humaines ni du temps nécessaire. Parfois, les investissements doivent être réalisés en urgence, ce qui leur laisse encore moins le temps de faire les démarches de subvention.
Mais le plus souvent, c’est une méconnaissance des dispositifs et des interlocuteurs qui les retient.
Dans ces cas-là, quel accompagnement proposez-vous ?
Dans un premier temps, nous rencontrons le dirigeant et lui posons de nombreuses questions sur sa société, son historique, sa stratégie, son projet, etc. Ensuite, nous dressons « un plan stratégique d’entreprise », c’est-à-dire un dossier de présentation de l’entreprise et de son projet. Ensuite, nous rédigeons les formulaires de sollicitation des organismes. Nous sommes l’interlocuteur unique auprès des différents instructeurs, qui peuvent nous appeler en amont des comités pour mieux comprendre le projet.
Lors du passage en comité, chaque dossier est noté en fonction de différents critères. Cela donne une note par critère, puis une note globale au dossier et seuls les dossiers les mieux notés sont retenus et subventionnés. D’où l’intérêt de vraiment mettre en avant les points forts de l’entreprise et de bien connaître les attentes des organismes financeurs.
Le dossier passe donc en comité. Il peut d’ailleurs y avoir plusieurs comités, puis l’entreprise reçoit une notification d’accord de subvention. Ensuite, nous gérons également le déblocage des fonds. Au fur et à mesure de l’avancement du projet, nous faisons des appels de fonds, ce qui nécessite parfois aussi la rédaction de rapports intermédiaires pour expliquer l’impact des premières enveloppes.
Régulièrement, les bailleurs tels que le ministère des Finances ou l’Europe exercent aussi des contrôles. Nous sommes présents à chaque contrôle aux côtés des entreprises et nous nous chargeons de gérer le contrôle avec le gestionnaire.
Accompagnez-vous parfois les entreprises à aménager leur projet de façon à être éligible à certaines aides ?
Il est parfois possible d’optimiser un projet de façon à obtenir une aide, tant que cela reste cohérent avec l’entreprise et sa stratégie. Néanmoins, on ne va pas transformer le projet de l’entreprise. En revanche, quand nous rencontrons les dirigeants, nous pouvons leur suggérer des pistes auxquelles ils n’auraient pas pensé. Notre objectif est d’accompagner l’entreprise à structurer sa stratégie en lien avec le projet. On pose donc beaucoup de questions, dont certaines qui ne leur seraient pas forcément venues à l’esprit parce qu’ils sont pris dans la gestion du quotidien. La démarche vise d’abord à bien structurer le projet afin de détecter les différentes possibilités d’aides.
Votre accompagnement permet-il de débloquer les fonds plus facilement, car les délais entre accord et versement sont souvent source de difficultés ?
Nous avons un objectif commun avec le client, c’est d’obtenir le versement de la subvention, puisque nous sommes rémunérés exclusivement au résultat. Nous avons donc aussi intérêt à ce que les fonds soient débloqués le plus vite possible. Ceci dit, nous travaillons avec l’administration française et les délais peuvent en effet être assez longs. En revanche, une entreprise qui décide de passer par nous sait que les organismes seront relancés très régulièrement. Et ce travail de relance suffit généralement à réduire les délais par rapport à une entreprise qui travaillerait seule.
Les entreprises avec lesquelles nous travaillons obtiennent surtout des montants plus importants. Très fréquemment, nous arrivons en effet dans des entreprises où l’équipe s’est renseignée, a lancé des démarches, mais n’est pas allée sur les bons dispositifs. Nous les redirigeons donc vers des aides qui conviennent davantage à leur projet et sur lesquelles elles pourront obtenir plus de subventions.
Vous n’êtes donc pas rémunéré lorsque la demande de subvention est refusée ?
Effectivement. Si la demande est refusée, l’entreprise ne nous doit rien, quel que soit le temps passé sur le dossier. En moyenne, le temps de travail sur un dossier est d’au moins de deux à trois ans, entre le moment où l’on rencontre le dirigeant jusqu’au déblocage des fonds qui se fait au fur et à mesure de l’avancement du projet. Par ailleurs, quand on a travaillé deux ou trois ans pour une entreprise, souvent au cours de ce délai, un nouveau projet sort sur lequel on est amené à intervenir. Nous entretenons donc des relations généralement assez longues avec nos clients.
Vous arrive-t-il de travailler avec des éleveurs ?
Oui, cela peut arriver lorsqu’un éleveur s’équipe par exemple avec du matériel de transformation à la ferme et que l’entreprise passe ainsi du secteur agricole au secteur agroalimentaire. On va alors créer une SARL pour la partie transformation, regarder comment optimiser le montage juridique et l’accompagner sur la demande de subvention.
Quelle évolution observez-vous concernant ces aides aux entreprises sur ces dix dernières années ?
Il y a deux grands sujets. Premièrement, FranceAgrimer qui soutenait beaucoup l’agroalimentaire sous forme de subventions passe sur des systèmes d’avances remboursables, ce qui est beaucoup moins intéressant pour les entreprises, d’autant que les taux d’emprunt sont assez faibles.
La deuxième tendance, c’est que les critères de qualité (label, bio, AOP, etc.) sont de plus en plus demandés. Une entreprise qui travaille avec ce type de produits a plus de chance d’obtenir des aides. Même chose concernant les approvisionnements locaux : dynamiser le tissu économique local est devenu une priorité. La qualité et l’environnement qui des sujets beaucoup plus pris en compte qu’avant.
Et quelle tendance observez-vous concernant les montants accordés ?
Les montants accordés sont assez stables, mais le nombre des dossiers validés diminue. Il y a beaucoup plus de sélection qu’avant. Avant, il suffisait à une entreprise de rentrer dans les critères pour être éligible et obtenir les aides. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être éligible, il faut vraiment défendre le dossier pour obtenir les subventions.
Ceci est probablement lié à la réduction globale des fonds disponibles. Pour aller chercher des fonds européens, il faut toujours une contrepartie nationale. Et la France a quand même tendance à limiter les dépenses. Résultat, il y a moins de fonds disponibles et une plus grande sélection.
Quel est votre taux de réussite ?
Nous avons quasiment 100 % d’acceptation. Ceci est dû au fait que nous présélectionnons les dossiers que nous défendons. Par exemple, nous ne prenons pas les dossiers d’entreprise en création, car c’est trop risqué pour nous. Aujourd’hui, nous connaissons bien les dispositifs, les attentes des bailleurs et donc nous pouvons identifier assez vite si nous serons en mesure de défendre ou non un projet.