« Replacer la dinde dans le quotidien des Français »

Depuis plusieurs années, la consommation de viande de dinde se voit concurrencée par la viande de poulet et de porc. Si elle représentait encore 17 % de la consommation totale de viande de volaille en 2018, la filière dinde voit sa production diminuer d’année en année. Pour autant, les professionnels de la filière entendent bien redorer l’image de la dinde et la replacer dans l’assiette des consommateurs français, avec une nouvelle campagne de communication lancée en juin prochain.

En attendant, Patrick Pageard, président du Cidef, dresse l’état des lieux de la filière et de ses enjeux.

Comment se porte la filière dinde en quelques chiffres ?

Si on reprend l’historique, on constate que la production de dinde était en croissance régulière jusqu’aux années 2000, avant de stagner puis perdre une partie de sa production au profit du poulet. En quelques chiffres, la production de dinde s’établissait à 440 000 tec dans les années 1990 contre 360 000 tec en 2018, nous avons donc perdu près de 80 000 tec en 20 ans. Malgré cela, la production de dinde continue à représenter 20 % de la production de volaille en France, ce qui n’est pas mineur, même si elle est un peu mise à mal ces dernières années, car elle est en concurrence directe avec la viande de porc et avec la viande de poulet qui a contrario, elle, ne cesse de prendre des parts de marché.

Au-delà de cet effet de vases communicants, ces dernières années ont été aussi marquées par des changements des modes de consommation. Et l’hypothèse serait que la consommation de dinde pendant les périodes festives n’est plus aussi systématique qu’avant. En effet, la part des dindes entières à Noël diminue au profit d’autres espèces ou d’autres types de produits prêts à cuisiner.

En moyenne, la consommation annuelle de dinde est estimée en 2018 à 4,7 kg par personne contre 28,5 kg de poulet.

Comment expliquez-vous ce transfert de consommation de viande de dinde vers la viande de poulet ?

La production de viande de poulet prédomine dans la consommation de viande de volaille. Par ailleurs, les poulets sont aujourd’hui plus lourds qu’ils étaient il y a 20 ans. Autrement dit, la quantité de viande dans un poulet est plus importante qu’avant, pour un temps de croissance et de production inférieur à la production de dinde. Globalement, il faut compter entre six et sept lots de poulet pour deux lots et demi de dinde par an. Comme le poulet est un peu plus lourd, plus compétitif et que l’on peut en faire plus régulièrement, la production a pris le pas sur la dinde.

D’un point de vue sanitaire également, la production de dinde peut être un peu plus compliquée puisque notre fléau reste l’histomonose, pour lequel il n’existe pas à ce jour de traitement. Et de fait, le risque est conséquent en terme de pertes et d’impacts pour le producteur.

D’autre part, sans dénigrer la production de poulet, on tend à dire que la production de dinde est un peu plus technique.

Ajoutons également que l’Allemagne, grand importateur de dinde française jusque dans les années 2000, a fini par se dire qu’elle avait tout intérêt à développer sa production nationale plutôt que de continuer à importer.

Enfin, l’image de la dinde est moins mise en valeur que celle du poulet, ou que d’autres volailles, même si nous déplorons cet état de fait. Les restaurateurs mettent rarement en avant la dinde dans leurs menus et préfèreront utiliser le terme « volaille ».

Tous ces facteurs associés font que nous avons perdu des parts de marché.

Avez-vous des difficultés à recruter des producteurs ?

Nous sommes une production en flux tiré. Par conséquent, s’il y a moins de demande, l’offre s’adapte en conséquence, avec des baisses de mises en place. Cela fait quelques années que la filière perd 50 000 têtes en moyenne non mises en place chaque année. Globalement, la production compte environ 811 000 têtes mises en place par semaine. Il est certain que les perspectives et la baisse de la consommation n’incitent pas à encourager de nouveaux recrutements.

Pour autant, l’avantage est que l’on peut faire de la dinde et du poulet dans les mêmes bâtiments (avec le matériel adapté). Et il est d’ailleurs largement conseillé de faire un peu des deux d’un point de vue sanitaire.

L’enjeu est donc d’abord de relancer la consommation, pour que les abattoirs, les OP et les éleveurs puissent relancer les mises en place.

Existe-t-il un besoin de renouvellement du parc bâtiment ?

Comme dans toute production, avec les évolutions de la génétique, les différentes attentes des consommateurs et les nouvelles technologies, des bâtiments rénovés ou modernes sont plus à même de performer que les anciens bâtiments, que ce soit d’un point de vue éleveur ou animal. Il est indéniable que la sécurisation des performances et de la qualité passe par une évolution technique des bâtiments.

Mais comme souvent les bâtiments dinde sont également utilisés en poulet, il est difficile d’estimer les surfaces à rénover. Le plan filière évalue les besoins d’investissement (rénovation et construction inclues) en volaille standard (poulet et dinde) à 1,5 milliards d’euros sur cinq ans, soit 300 millions d’euros par an. Ceci représente 400 000 m2 en création et 1 million de m2 en rénovation, sur un parc bâtiment total estimé à plus de 17 millions de m2 (toutes volailles confondues, incluant les labels et les reproducteurs).

Comment voyez-vous l’avenir de la production ?

La filière s’est fixée comme objectif de remettre la dinde dans le quotidien des Français, avec la nouvelle campagne de communication qui va être lancée en juin, jusqu’à la fin de l’automne. L’enjeu va être de sortir la dinde de son anonymat, mettre en avant ses qualités, notamment sur son aspect peu calorique, très équilibré, sa tenue de cuisson, son goût, etc. La campagne sera concentrée sur les réseaux sociaux, les influenceurs et les médias dématérialisés qui parleront de la dinde de manière positive. C’est novateur puisque jusque là, nos campagnes de communication étaient plutôt orientées vers la RHD et les décideurs-acheteurs. Là, notre volonté est vraiment de nous adresser au consommateur.

Par ailleurs, nous nous sommes associés aux différentes entreprises et marques qui font de la dinde pour construire un message commun qui sera partagé par co-branding par toutes les entreprises et industries de transformation volontaires. Les marques, incluant les MDD, pourront donc utiliser le message sur leurs propres packagings.

Il y aura aussi un temps fort prévu en octobre en GMS où nous mettrons en avant ce co-branding, avec des affichages et l’association des marques sur les produits proposés en GMS. Après la Toussaint, nous aurons un second temps fort en RHD, un segment également très porteur, avec des cibles privilégiées, notamment la restauration collective orientée vers les jeunes, comme les cantines de collectivités, les restaurations étudiantes et les lycées.

L’enjeu est vraiment de relancer la consommation pour développer la production. Car aujourd’hui, notre avantage malgré tout, est que contrairement au poulet, la dinde est moins sujette aux importations (39 000 tec en 2018). Donc si la demande est relancée, cela devrait bénéficier directement à la production nationale.

Quel est le bilan des exportations ?

Notre plus gros client allemand a réussi à se passer de nous dans les années 2000. Mais nous avons repris quelques parts de marché, et l’export de viande et préparation de dinde reste aujourd’hui stable, avec des volumes relativement modestes (85 000 tec en 2018 soit -6 % par rapport à 2017).

En revanche, les exportations d’œufs à couver se portent encore très bien avec plus de 57 millions d’OAC exportés en 2018.

Comment évolue la génétique ?

Il y a des volontés de faire évoluer la génétique, mais la France a toujours fait le choix de rester sur des dindes médiums (7 et 17 kg selon les sexes), avec un poids bien inférieur aux poids moyens mondiaux. De fait, en restant en restant dans ce segment, qui ne correspond pas à la moyenne de la demande mondiale, le potentiel de développement de la génétique est plus limité. Malgré tout, la génétique évolue encore, que ce soit en termes d’indice de consommation ou de rendement, et aujourd’hui, elle donne des résultats très satisfaisants. Mais à court terme, il n’existe pas de volonté de changer radicalement de modèle.

Est-ce que le phénomène de stockage sur pied a diminué ?

Nous l’avons effectivement beaucoup subi en 2017, mais depuis 2018 le phénomène s’est largement estompé. Lors de cette vague de stock sur pieds, le Cidef avait réagi et essayé de limiter le phénomène en faisant évoluer les accords-cadres sur les contrats. Au-delà des engagements entre producteur et abatteur sur le respect des poids, des plannings et délais d’enlèvement, nous avions décidé d’ajouter des pénalités pour stockage sur pieds et non-respect des poids et des dates d’enlèvements, avec des montants par tonne et par jour de décalage. L’évolution n’est pas forcément uniquement liée à cette mesure, mais cela a quand même permis de recadrer les choses et en faire revenir certains dans le droit chemin. Aujourd’hui, cet accord est toujours en cours et semble être appliqué. Donc les stocks sur pieds restent assez limités puisque sur l’année 2018 et les débuts 2019, le phénomène semble rester marginal par rapport aux années précédentes.

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