L’adaptation au contexte énergétique apparaît naturellement comme la première préoccupation face à l’avenir. « C’est l’inquiétude du moment car nous n’avons pas de visibilité sur la dépense énergétique, a reconnu Isabelle Leballeur. Or même en travaillant sur l’isolation des bâtiments, on ne peut pas faire sans énergie. En Allemagne, des entreprises s’arrêtent et mettent leurs salariés au chômage. Je crains des décisions radicales en élevage. » « Ce n’est pas viable de continuer avec des coûts énergétiques multipliés jusqu’à dix », renchérit Jean-Yves Guérot. « Si j’avais 25 ans, j’investirais dans une chaudière biomasse ou des panneaux photovoltaïques, mais ce sont des enveloppes à six chiffres ! S’il n’y a pas d’aide, c’est plié pour la pérennité de la filière. », poursuit-il. « Cela a toujours été dans ma philosophie d’investir dans l’efficacité énergétique : boucher les trous, installer des échangeurs, optimiser la ventilation », explique de son côté Louis-Marie Pasquier. « Certains de mes bâtiments ont cinquante ans. Aujourd’hui, je vais installer des panneaux photovoltaïques sachant que mes contrats en énergie me couvrent jusqu’à fin 2023 », ajoute-t-il.
« Respecter le bien-être animal est notre responsabilité »
Concernant les attentes sociétales, notamment le bien-être animal, Dominique Grasset estime que : « C’est un élément de la qualité de nos produits, et cela génère une dynamique intéressante car on retrouve de la fierté et du goût dans notre métier. Mais la démarche doit forcément se faire dans le cadre d’une filière. Dans ma coopérative Terrena, c’est le cas de la marque La Nouvelle agriculture qui se traduit par une densité réduite, un enrichissement du milieu pour le picorage et le perchage, et la lumière naturelle. » Il souligne toutefois qu’il convient de « doser cette attente » car ce n’est pas celle de tous les consommateurs. Angélique Drouet estime de son côté que « certains dispositifs tels que les caillebotis pour les dindons, n’apportent pas de réel bénéfice en matière de bien-être animal, et ne se justifient que par l’image ».
Pour Isabelle Leballeur, « élever les animaux dans les meilleures conditions parce qu’ils nous le rendent bien, est l’équation basique et le cœur de notre métier. Cela génère des investissements complémentaires coûteux qu’il faut donc valoriser. Mais il faut le faire car c’est notre responsabilité de respecter le bien-être animal. De plus, l’éleveur en ressent aussi le bénéfice, dans le cas de la lumière naturelle par exemple ». Louis-Marie Pasquier ajoute l’importance de communiquer sur les efforts « énormes » qui sont réalisés. « On ne peut pas être trop fiers de certaines pratiques du passé, en matière d’antibiotiques par exemple. Mais aujourd’hui, j’ouvre mes portes sans souci. Et mes voisins étaient étonnés de voir que je n’élève pas mes volailles en cages ! ».
« Nous pouvons agir de manière préventive sur les émissions »
L’impact des émissions des élevages sur la qualité de l’air est un autre sujet sensible vis-à-vis de la société. « D’accord pour respecter les riverains, mais il faut arrêter de nous stigmatiser », déclare Jean-Yves Guérot. « Avant, ma ferme était à deux kilomètres du bourg. Aujourd’hui, j’ai un lotissement à 114 mètres. Cependant, je n’ai pas de problème de voisinage. En termes de conduite d’élevage je n’utilise que du copeau en litière et la maîtrise technique des aspects digestifs s’est améliorée», se satisfait-il. « Nous pouvons agir de manière préventive pour limiter les émissions, par la gestion des litières et de l’ambiance des bâtiments », indiquent également Isabelle Leballeur et Dominique Grasset. « J’ai des voisins à cinquante mètres et l’entente est bonne », témoigne de son côté Louis-Marie Pasquier. « Il faut faire attention aux pratiques d’épandage, notamment pour le lisier de canards, et communiquer. Nous avons installé des caissons près des ventilateurs pour capter les poussières. Il est possible aussi de planter une haie du côté du bâtiment où sortent les ventilateurs », complète-t-il.
Demain, des bâtiments polyvalents et peu coûteux
Interrogés en conclusion sur ce que serait leur bâtiment d’élevage idéal, « je le couvrirais de panneaux photovoltaïques, je mettrai un plancher chauffant, et je le positionnerais au bord d’un champ pour pouvoir adapter la production » imagine Dominique Grasset. « Le bâtiment de demain devra être polyvalent et économique en charge », confirme Isabelle Leballeur. Et les éleveurs devront être agiles. « L’innovation est notre seul salut », ajoute-t-elle. A propos des jardins d’hiver, Angélique Drouet a choisi cette option pour rénover d’anciens bâtiments. « On se sent mieux dans ces bâtiments, c’est un bon compromis. Si c’était à refaire, je le referais. » « Nous avons un bâtiment avec un jardin d’hiver toujours ouvert, bien que cela ait peu d’utilité en hiver », indique de son côté Louis-Marie Pasquier. « Les dindes et les pintades y sont bien mais ce n’est pas économique, le retour sur investissement est nul, et tous les producteurs n’ont pas le marché permettant de le valoriser. Je pense aussi que le bâtiment idéal doit être multiproductions, simple, peu coûteux en énergie, avec la possibilité de récupérer l’eau pour la brumisation. Dans tous les cas, il est important d’intégrer les éleveurs pour avancer », poursuit-il. Jean-Yves Guérot s’inquiète quant à lui de la possibilité d’obtenir au préalable des permis de construire demain, « nous avons connu des années où il était possible d’innover en augmentant nos tarifs. Aujourd’hui, le problème est de maintenir des coûts raisonnables pour continuer à produire français. C’est en rassemblant des idées que l’on pourra agir ».