Eviter les fortes mortalités de fin d'engraissement en dinde

Les mortalités élevées de fin d'engraissement coûtent cher en dinde… Une étude menée en collaboration entre Mg2Mix et Chêne Vert Conseil a permis de mettre le doigt sur les principaux facteurs de risques. Le virus PMV-1 y figurent en bonne position. Un levier d'action consiste donc à mettre en place une prophylaxie complète contre ce virus.
Au cours de l'année 2015, l'une des problématiques récurrentes rencontrées en élevage de dinde portait sur des mortalités anormalement élevées rencontrées en fin d'engraissement (entre 12 semaines et l’abattage) associées à des pathologies métaboliques (ruptures vasculaires oude tendon). Phénomène dont on entend à nouveau parler en ce début d’année 2017… Mais, entre-temps, la firme-services Mg2Mix et Chêne Vert Conseil ont décidé de travailler ensemble afin d'identifier les facteurs à l'origine de ces fortes mortalités, et pouvoir proposer des solutions pour en diminuer l’incidence.
Une étude terrain a ainsi été lancée en 2016 (mars à juin) dont la réalisation a été confiée à Amélie Malabous, à l'époque stagiaire chez Mg2Mix. Les investigations ont reposé à la fois sur un questionnaire, des visites en élevage avec réalisation de mesures et appréciations visuelles, et aussi des prélèvements de sang afin d'effectuer des sérologies RTI (rhinotrachéite infectieuse) et PMV1 (virus de la famille du virus de la maladie de Newcastle), deux pathologies susceptibles d'être impliquées dans cette problématique comme l'avait subodoré le Dr Eric Chataigner (Chêne Vert Conseil). L'aspect alimentaire n'a quant à lui pas été étudié dans la mesure où les mortalités élevées ont été observées dans différentes régions de France.
Une mortalité moyenne de 3 %
69 élevages spécialisés dans l'élevage de dindes de chair (l'équivalent de 126 bâtiments), issus de sept organisations de production et répartis sur une quinzaine de départements du Grand-Ouest et du Centre de la France, ont participé à cette étude. Après notation de l’aspect des morts par les éleveurs interrogés lors de la période allant de 12 semaines à l’abattage, les mortalités de fin d'engraissement ont deux origines principales : les troubles locomoteurs dans 51 % des cas (rupture partielle ou totale des tendons) et les troubles circulatoires (« cardiaques ») pour 31 %. Parmi les autres problématiques évoquées (18 % des cas), le picage.
D'après les données technico-économiques, la mortalité moyenne en fin de lot approche des 3 % (2,98 %) mais l’écart peut être important selon les élevages (elle fluctue entre 0,38 % et 12,12%), 37 % des élevages ont une mortalité fin de lot supérieure à 3 %.« Si l'on prend une mortalité de fin de lot moyenne de 3 % et une densité de 4 dindons/m², cela représente une perte de 1,2 à 1,8 kg/m² et un manque à gagner sur un 1200m² de 1 700 à 2 600 € environ par lot (1,44 à 2,16 €/m²) ! Soit 4300 à 6500€ à raison de 2,5 lots/an et en se basant sur un prix de reprise de 1 200 €/tonne de vif», calcule Florian Bastit, ingénieur avicole au sein de la firme-services Mg2Mix. Ce coût important vient du fait que ces mortalités concernant des animaux pratiquement « finis », c’est-à-dire lourds et ayant consommés entre 15 et 40 kg d’aliment par tête suivant le poids et l’âge lors de la mort.
Dans le cadre de l'analyse statistique, les lots ont été séparés en trois groupes de taille égale en fonction du niveau de mortalité de fin de lot : faible (moyenne de 1,11%), modérée (moyenne de 2,52%), sévère (moyenne de 5,53%). « L'écart-type est élevé (2,50) dans le groupe 'mortalité sévère' comparé aux deux autres (respectivement 0,40 et 0,44) », souligne-t-il. Par ailleurs, les lots présentant une mortalité en fin de lot sévère avaient à l’inverse une mortalité à 10 jours inférieure, ce qui soulève des questions concernant le tri des animaux chétifs ou d’éventuelles carences dans le jeune âge. « Nous n’avons pas approfondi les pratiques de démarrage dans le cadre de cette étude », précise Florian Bastit.
Les chiffres montrent aussi que la mortalité de fin de lot impacte fortement et significativement l’indice de consommation et les saisies à l’abattoir.
Quelques fausses idées à oublier
« Contrairement à ce que l'on entend sur le terrain, les mortalités élevées de fin d'engraissement ne sont pas imputables à une souche génétique en particulier », affirme Florian Bastit au regard de l'analyse statistique des données.
Plusieurs autres idées pré-conçues n'ont pas résisté à l'épreuve des statistiques… Ainsi, il n'existe pas de corrélation entre les niveaux de mortalité de fin de lot et la densité des mâles en finition, ou encore entre mortalité fin de lot et vitesse de croissance. En effet, aucune différence significative n'a été mise en évidence entre les trois groupes tant en termes de poids moyen (total, mâle) que de GMQ (total, mâle).Le type de bâtiment (statique/dynamique) ainsi que son âge, le type de ventilation (différents modèles), de démarrage (localisé/en ambiance, densité normale/double densité), de boîtier de régulation (différentes marques) n'impactent pas la mortalité de fin de lot. « C'est surtout la présence, l'implication et la technicité de l'éleveur qui font la différence en termes de performances, plus que le type de ventilation », déclare Denis Chevalier, responsable technique volailles chez Mg2Mix.
En effet, le taux de mortalité se révèle moins élevé chez les éleveurs qui interviennent régulièrement sur leur boîtier de régulation (32 % n'y touchent qu’occasionnellement), adaptent les programmes lumineux en fonction de l'âge des animaux (16 % ne font aucune modification), pèsent régulièrement leurs animaux (11 % ne pèsent pas régulièrement et 30 % pèsent moins de 20 animaux, ce qui n'est pas représentatif du lot). « Et l'on constate davantage de mortalité de fin de lot dans les élevages où les litières sont répertoriées comme dégradées », souligne Florian Bastit.
Par ailleurs, « on s'est aussi aperçu que la mortalité de fin de lot était moins forte dans les élevages où la teneur en CO2 était comprise entre 1 000 et 2 000 ppm », poursuit-il. En dessous de 1 000 ppm (CO2 air extérieur = 400ppm), ce serait des éleveurs qui ont tendance à sur-ventiler avec le risque de « glacer » les litières (litières froides avec une couche de déjections homogène et humide recouvrant la paille ou le copeau) et de provoquer des coups de froids (problèmes de pattes, maladies). Au-dessus de 2 000 ppm, l’on aurait plutôt affaire à des éleveurs qui confinent davantage, ce qui peut être préjudiciable pour la qualité d'ambiance et la santé des animaux (renouvellement en oxygène insuffisant). La forte homogénéité de la mesure CO2 entre la 1ère et la 2ème visite en élevage traduit une gestion de la ventilation identique pour un même éleveur pendant la période de finition.
Autre tendance observée, cette fois-ci conforme aux impressions du terrain : la mortalité de fin de lot semble plus élevée avec un départ des femelles tardif (+3 jours).
N&D et vaccinations, protocoles complets !
L'enquête a également porté sur les pratiques de nettoyage-désinfection des circuits d’eau et a révélé que dans les élevages où le protocole classique (base puis acide) n'était pas correctement appliqué au vide sanitaire (protocole incomplet pour 32 % des élevages), la mortalité en fin de lot était plus élevée.Un lien entre bonnes pratiques de nettoyage-désinfection des canalisations et bon état sanitaire du lot a d’ailleurs été mis en évidence, de même qu’entre l’état sanitaire du lot depuis le démarrage et la mortalité fin de lot.
Ainsi, les lots dont l’état sanitaire est considéré comme bon (pas de troubles infectieux majeur, pas plus d’un traitement antibiotique répertorié au cours du lot) affichent une mortalité fin de lot inférieure comparés aux lots dont l’état sanitaire est jugé « mauvais » (ORT, dermite gangréneuse, colibacillose, réalisation de plusieurs traitements antibiotiques). Les lots touchés par des problèmes locomoteurs ou d’ordre digestif sont davantage concernés par les problèmes de mortalité de fin de lot sévère.
« Le comportement du lot se révèle un bon indicateur de mortalité de fin de lot », déclare Florian Bastit au vu des résultats de l’étude. « Des lots trop calmes (animaux qui se déplacent peu, ne font pas la roue, ne chantent pas) ou nerveux (animaux agités, picage) sont annonciateurs d’une mortalité de fin de lot sévère par opposition à des dindons qui se déplacent bien et expriment le comportement normal de leur espèce (chantent et font la roue) », détaille-t-il.
Hormis le nettoyage-désinfection du circuit d’eau, un second levier d’action s’avère capital pour réduire l’occurrence des mortalités de fin de lot à en juger par les résultats de l’étude sérologique : appliquer les protocoles de vaccination permetant de protéger les animaux jusqu’à l’abattage, s’agissant de la RTI et du PMV1, ce qui n’est a priori pas le cas aujourd’hui. Pour information, la mortalité de fin de lot atteint en moyenne 3,38 % dans les élevages où l’on a retrouvé du virus PMV1 sauvage, et 3,29 % dans les élevages touchés par le virus RTI sauvage.
Ces virus sont en effet très présents dans les élevages de dindes, quel que soit le secteur géographique investigué : le virus sauvage PMV1 a été retrouvé dans 66 % des bâtiments sondés (la souche vaccinale dans seulement 6 % des élevages) et le virus sauvage de la RTI dans 42 % des élevages (15 % pour les souches vaccinales). « Il faut savoir qu’en présence du virus PMV1, les animaux ne peuvent pas être correctement vaccinés contre la RTI. De plus, il existe une synergie entre ces deux virus. La mortalité de fin de lot a d’ailleurs tendance à être plus importante dans les élevages touchés par les deux virus en même temps (3,49 %) », explique le Dr Eric Chataigner.
L’enquête a montré que seulement 13 % des élevages affichent un protocole de vaccination suffisant contre le PMV1, 38 % l’appliquent de manière partielle et 49 % ne vaccinent pas.
Ces chiffres sont respectivement de 58 %, 23 % et 19 % concernant la vaccination RTI. Une gageure selon le vétérinaire, surtout dans le contexte de démédication actuel, et d’en apporter la preuve par les chiffres : « un protocole de vaccination complet PMV1/RTI* revient à environ 300 à 500 € pour 8 000 dindes contre 850 € à 2000 € pour un traitement antibiotique passé 100 jours d’âge, sans compter la mortalité fin de lot,les saisies et les préjudices sur la croissance ». De son point de vue, les éleveurs ont tendance à se focaliser sur les problèmes de colibacilloses ou d’ORT « mais ils oublient que les bactéries sont généralement le second étage de la fusée, au premier, ce sont les virus. Voilà pourquoi il est important de ne pas faire l’impasse sur la vaccination contre les différents agents viraux ».
→ Retrouvez l'intégralité de cet article dans le numéro 807 de Filières Avicoles, en p.68 (rubrique Technique).