Si l'Allemagne a détrôné la France de sa place de premier producteur de viande de dinde en Europe, elle pourrait à son tour passer le relais à la Pologne, d'autant que les éleveurs allemands doivent aujourd'hui composer avec les réglementations bien-être, environnementale et sanitaire. En Russie et en Espagne aussi, les productions sont orientées à la hausse.
Sur le marché de la dinde aussi, les cartes sont en train d'être rebattues au sein de l'Europe : alors que les pays de l'ouest affichent une croissance faible ou quasi nulle, la Pologne est en plein développement et pourrait devenir sous peu le producteur n°1 de viande de dinde.
La Pologne en plein boom
"La Pologne connaît un développement très intéressant en dinde ces derniers temps, avec une véritable envolée sur les deux dernières années", constate Heinz Bosse, en charge du marché européen pour la société Aviagen Turkeys. Les mises en place de dindonneaux ont en effet progressé de respectivement 12,9 % et 17,7 % entre 2013/2014 et 2014/2015 pour atteindre 41,3 millions de dindonneaux en 2015. Et la production est encore attendue à la hausse sur l’année en cours : + 5 à + 10 %, essentiellement dans les bassins de production situés à l’est et à l’ouest du pays.La filière dinde polonaise s’avère très compétitive mais fait face à une forte concurrence entre les différents acteurs. Le pays compte une douzaine de couvoirs fournisseurs de dindonneaux et 27 ateliers d’abattage-transformation certifiés aux normes européennes. Sachant que
"le taux de change euro/zloty polonais est favorable à l'exportation de filets : sur 10 mois, la différence s’élève à 4,5 % voire 5 %, un euro équivaut à 4,5 zlotys", souligne-t-il.A l’heure actuelle, les éleveurs polonais
"gagnent bien leur vie et ne sont pas inquiétés par le bien-être animal ni la régulation du marché, ils obtiennent leur permis très rapidement mais sont conscients que cette situation ne durera pas éternellement", rapporte-t-il. En attendant, beaucoup de jeunes se lancent dans le métier et investissement des sommes très importantes dans la construction de bâtiments obscurs dynamiques.
Des freins en Allemagne
A contrario, les mises en place de dindonneaux en Allemagne sont en baisse de 2,2 % (-679 306) par rapport à l’année précédente avec 30,7 millions en 2015 contre 31,39 millions en 2014. Mais en fait, ce sont les mises en place de femelles qui sont en forte réduction (-10 %) tandis que l’effectif de mâles progresse (+2,8 %). Le marché allemand est tourné majoritairement vers les mâles (17 millions), abattus autour de 21 kg, une partie des femelles (10,5-11 kg) est exportée vers la Pologne.
"Les éleveurs Allemands sont de plus en plus embêtés par les organisations de défense du bien-être animal, des actions avec effractions sont menées dans les élevages. Les écologistes relaient ces problématiques dans les discussions politiques comme ils l’ont fait auparavant avec le nucléaire. Ils ont ainsi mis sur la table les sujets de l’épointage, la production de masse, la densité, l’antibiorésistance, la souffrance".
Concrètement, cela débouche sur des régulations et des contrôles. Par exemple, la loi AMG 2014 impose l’enrichissement d’une base de données sur l’utilisation des antibiotiques. Chaque éleveur communique le nombre de jours de traitement et le nombre de traitements. Tous les six mois, le vétérinaire émet un rapport avec un plan d'amélioration de la situation, et si l’éleveur se trouve en dessous des objectifs, il peut se voir imposé une restriction de la production voire un arrêt de production. Cette démarche implique à la fois les éleveurs et les vétérinaires avec un objectif de réduction de la consommation d’antibiotiques de 50 %.Le plan de bien-être de l’état fédéral de Basse-Saxe se focalise pour sa part sur les pododermatites et l’épointage (arrêté à la fin 2017 sur les femelles). Les vétérinaires doivent communiquer à l’Etat le taux de pododermatites, le taux de saisies, la mortalité. Par ailleurs, des cahiers des charges émergent avec limitation de la densité à 58 kg, 52 kg ou 45 kg/m2 sur la base du volontariat.
"On a oublié de prendre en considération les consommateurs et les médias dans notre modèle de développement", commente-t-il.
Russie et Espagne en croissance
Plus à l’est, cela bouge également en Russie où la demande en dinde progresse, notamment dans les grandes villes.
"La dinde est là-bas une production historique et sa consommation bien ancrée dans les habitudes des populations", souligne Heinz Boss. On assiste au développement de gammes de produits transformés et cuits, adaptées aux tendances de consommation du pays.La volonté du gouvernement russe va dans le sens d’un essor de la production de viande avec la planification de projets à long terme, et des finances sont disponibles pour y parvenir.
"Un savoir technique apparaît nécessaire pour accompagner cette expansion, les mises en place sont estimées à quelque 20 millions de dindonneaux par an".
Du mouvement à signaler aussi du côté de l'Espagne dont la situation économique s’est redressée et où la consommation affiche un beau dynamisme avec une demande du marché pour de la découpe de viande bon marché. Une situation qui profite principalement à la société Procavi. La demande porte sur des femelles abattues à 8 kg et des mâles de 15 kg. "
Avec 22 millions de dindonneaux mis en place en 2015, l’Espagne se situe désormais à la 5ème place sur la scène européenne", indique Heinz Boss.
L’UE à 28 : 2 029 t en 2014
Sur l’année 2014, la production de viande de dinde dans l’UE à 28 a pesé 2 029 tonnes avec en première position l’Allemagne (19,20 % des volumes) suivie de la France (18,60 %) et la Pologne (17,50 %), puis l’Italie (15,70 %), l’Espagne (8,90 %) et le Royaume-Uni (8,70 %). Cinq pays produisent plus de 80 % des volumes sur un marché européen qui dépasse les 500 millions de consommateurs. 3,9 kg/habitant/an de viande de dinde sont consommés en moyenne au sein de l’UE à 28 avec un maximum obtenu en Allemagne (5,9 kg/hab/an), mais encore loin du record détenu par les Etats-Unis (7,2 kg/hab/an).L’Europe représente 36,2 % de la production de viande de dinde mondiale (5 600 tonnes) derrière l’Amérique du Nord, les Etats-Unis et le Canada totalisant à eux deux 51,2 % de la production mondiale (2 868 tonnes).
Après avoir connu une forte croissance jusque dans les années 2000 où elle a atteint 2 200 tonnes, la production européenne s’est repliée autour de 1 800 tonnes avant de repartir à la hausse et se stabiliser depuis 2012 autour de 2 000 tonnes.
Du côté des mises en place de dindonneaux, la France arrive en tête en 2014 avec un total 55 millions de têtes suivie de la Pologne (35 millions), de l’Allemagne (34 millions) et de l’Italie (30 millions).